CONFIDENCES OSSEUSES

(Quand les choses vont de mal en pis)

 

Les métastases osseuses, fussent-elles répandues dans plusieurs parties du corps (sauf la figure), préservent souvent l’apparence de la santé. L’énergie que je dégage, ma jovialité devant les autres, donnent l’impression que je ne suis pas malade. On me dit souvent « Tu n’as pas l’air malade ». Non je ne suis pas malade, mais je suis drôlement affecté dans ma mobilité, sans tenir compte de la douleur résorbée en partie par des doses régulières de morphine et de neurontin.

 

À mesure que le cancer évolue et que les métastases s’attaquent à une nouvelle zone du corps, je ne peux que constater, lucidement, que s’accomplit un processus irréversible, qui va me conduire inéluctablement à la fin. Je me permets à l’occasion d’espérer un revirement miraculeux qui apporterait la guérison, mais une question primordiale revient sans cesse ...

Combien de temps va durer ce processus de détérioration de mon ossature et des tissus connexes ?

Les malaises physiques, les incapacités qui se développent, l’augmentation de la douleur m’obligent à regarder la réalité en face et à me rendre à l’évidence. À moins d’un miracle suscité par les prières de tous ou d’une découverte de dernière heure, plus personne, plus aucun traitement ne peut me sauver. En disant cela, je n’écarte pas une guérison toujours possible, mais elle sera le fruit d’un phénomène mystérieux et insaisissable.

Dans ce contexte, chaque fois que survient une nouvelle atteinte, le « focus » est orienté vers une solution immédiate (radiothérapie et chirurgie) qui peut réduire la douleur et freiner la progression des métastases. Dans une attitude complice avec les médecins et mes proches, je me concentre sur cette nouvelle partie du corps, comme si cette intervention   mettrait fin à la maladie.

Je suis bien conscient qu’autour de moi chacun vit les événements selon sa perception de la réalité. Par mon attitude, généralement positive, j’évite sans doute d’inquiéter inutilement mes proches et mes amis.  Selon mes états d’âme, mon discours peut changer d’un jour à l’autre. Même dans les heures les plus sombres, j’ai tendance à dissimuler mes craintes et à me taire pour éviter d’engendrer trop d’angoisse autour de moi. Je peux aussi adapter mes comportements et mes émotions aux attentes des autres pour ne pas les décevoir.

 

Face au cancer, on répète que les courageux ce sont ceux qui ne désespèrent jamais et qui se battent jusqu’à la fin : « il faut te battre… tu vas remonter la côte encore une fois ». « Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ». « Tout est possible quand on y croit fermement ». Je deviens tiraillé entre les messages de mon corps dépérissant et les messages d’encouragement et de combat de mon entourage. Comment faire des promesses avec conviction et en toute franchise, lorsque les doutes sur l’issu de la maladie persistent intérieurement ? Je voudrais bien être le maître de mon corps et lui procurer la guérison comme le prétend la littérature alternative. Je veux bien croire qu’on peut susciter des changements, freiner l’évolution de la maladie, mais l’irradier complètement avec sa propre volonté, est-ce possible ? N’est-ce pas plutôt une illusion des courants du nouvel âge ? Le courant ésotérique développe une littérature qui structure en dogme tout un ensemble de nouvelles croyances, qui s’accompagnent de rituels et de pratiques supposément miraculeuses.

Ce qui me garde debout et conserve ma soif de vivre, c’est l’amour pour mes proches et le respect sacré de la vie. Elle est un don et je ne peux la gaspiller à attendre la mort, même si celle-ci fait partie de notre destin. Ce serait folie que de passer le reste de sa vie à craindre son avènement. Comme le dit si bien un Rabin juif, « si Dieu ne dissimulait pas l’heure de notre mort, personne ne construirait de maison, ni de planterait de vigne ». Alors, parce que le cancer risque de mettre fin à mon existence terrestre avant les autres, devrais-je vivre dans l’angoisse, la tristesse, le repli sur soi ?

Cependant, quand je fais le compte des indicateurs physiques, la maladie apparaît irréversible et je dois vivre avec cette éventualité et la partager avec mes proches et mes amis. Alors, pour sortir de l’incertitude et de l’ambivalence, je choisis de ne pas m’engager dans des espoirs et des promesses que je ne saurais tenir.  C’est pourquoi, je refuse le combat du cancer, le corps à corps épuisant, et j’adhère plutôt à un style de vie qui m’amène à profiter au maximum du présent. Bien sûr, je planifie mes activités, mes sorties, mes loisirs en fonction de mon état actuel de santé. J’ose aussi imaginer des projets à court terme; pourquoi pas un petit voyage dans le sud ? On verra…

Par contre, la prise en compte précoce de la fin de vie, en tant qu’évolution possible de la maladie, aide et incite à demeurer actif, à aborder toutes les questions relatives aux divers traitements, aux soins (mêmes palliatifs), aux dernières volontés. Agir autrement, ce serait manquer de lucidité et se comporter en autruche.

 

Quand le voile de l’ambivalence est levé, l’ouverture se crée, la nature des relations s’intensifie, les messages d’amour et de reconnaissance circulent plus librement et intensément. La vie suit son cours, en empruntant toujours, sur ma montagne sacrée, la voie de la sérénité, de la paix et de l’abandon.

 

Guillaume-11-2002

 

petit ajout de Papemich

Mon ami Guillaume soulève ici une dimension qui est fondamentale à mes yeux.  Cette "ambivalence" dont il traite, nous confronte tous les jours et de bien des manières. Que ce soit par des bouquins, des témoignages, des entrevues, il n'est pas rare d'entendre l'annonce d'une guérison totale.  Intérieurement, cela ranime des espoirs  qui, trop souvent, ne s'achèvent qu'en de terribles déceptions.  Par gentillesse, ou par peine de ce qui arrive à un être cher, la parenté, les amis, les connaissances vous transmettent des messages de grandes victoires possibles contre cet ennemi qu'est le cancer. Est-ce à dire que lorsque la maladie nous emportera, nous aurons été de "mauvais  combattant" ???

Personnellement, il y a déjà longtemps que je me suis refusé à cette perspective de "combat", de "victoire" et de "perdant".  Puisque je ne puis décidé de l'avenir du corps qu'est le mien, je laisse le soin à la Vie de décider ce qu'elle voudra en faire.  Si  l'Éternel  a opté pour l'achèvement de ma vie terrestre dans un délai plus court que ce que j'aurais souhaité, qu'il en soit ainsi.  Le cancer n'est plus mon ennemi.  Il fait partie de ma Vie et à défaut de le contrôler, à cause de son type particulier, je souhaite simplement pouvoir profiter du temps qu'il me reste.  Chaque soir, avant de m'endormir, je remercie le Ciel quand ma journée fut bonne.  Je remercie la Vie de m'avoir permis de connaître quelques moments heureux.  Et si la journée fut maussade et triste, tourmentée, alors je tente de me convaincre que demain sera un autre jour.  Sans plus.   

Alors il n'y a plus d'ambivalence. Comme le souligne si bien Guillaume, cette perception me permet de canaliser toutes mes énergies sur l'appréciation et la recherche de ce que la Vie peut et veut bien encore m'offrir de bien.  Quand  le dernier souffle sera, certains diront surement ;"Il a perdu son combat."

Mais moi je saurai que j'aurai gagné une somme appréciable de beaux moments  heureux...

 

Si vous souhaitez nous faire part de commentaires, à tous les deux ou à l'un de nous deux, je vous invite chaleureusement à nous les faire parvenir à  :  papemich@sympatico.ca

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