CONFUS CIUS et la différence entre exister et vivre
-Papemich, j'ai besoin de votre aide. En fait, pas tant la vôtre que celle de votre vieux pote.
-Heu, et je pourrais savoir qui me parle ainsi?
-Bien,,,Je suis avocat... Je ne peux dévoiler mon identité... Désolé...
-Bien vous savez, ma mère m'a toujours dit de me méfier des inconnus.
-Papemich !!! Ce n'est ni le lieu, ni le moment de blaguer. C'est une situation très sérieuse.
-Mais...
-Je dois sans faute contacter votre vieux Confus Cius. Sa sagesse pourrait sauver une vie...
-Vous voulez entrer en contact avec le Vieux Confus. Fort bien, seulement, vous ne pourrez le rencontrer
-Mais pourriez-vous lui demander, le supplier qu'il entre en contact avec moi. Je vous en supplie.
-Bon, patientez un moment... Je vous reviens dans quelques minutes.
Quand même un peu veinard l'avocat... Le vieux barbu blanc est justement chez-moi.
-Qu'y a t'il Papemich ?
-C'est un avocat qui souhaite garder l'anonymat et qui veut te parler à tout prix. Il dit que c'est une question de vie ou de mort.
-Hum.... Bien tu me permets?
-Oui...
*******
-Allo
-Maître Confus, vous êtes là !!!
-Heu, "Maître" est un bien grand qualificatif...
-J'ai à préparer une grande plaidoierie. Un cas très dur, sur bien des plans.
De celle-ci, ma plaidoierie, la vie d'une femme en dépendra.
-Oh...Et comment pourrais-je vous être à ce point utile?
-Parce que votre grande sagesse légendaire pourrait m'aider à trouver les mots qu'il faudra dire pour convaincre le jury.
-Et qu'a fait cette femme pour se retrouver ainsi accuser devant les tribunaux?
En quelques minutes l'avocat inconnu explique et brosse un tableau de la situation au vieux qui perçoit alors l'ampleur du problème.
-Alors vous comprenez. N'existe t'il pas une différence entre vivre et exister?
-Ainsi, votre objectif est de démontrer qu'elle ne lui a pas enlever la vie, mais l'existence.
Et puisqu'on l'accuse d'avoir enlever une vie, elle n'est donc pas coupable.
-Voilà....
Le Vieux Confus s'asseoit. Prend quelques minutes avant de se lancer...
-Bien... Si l'on considère les définitions classiques, celle d'un Larousse par exemple, il est mentionné que "vivre sa vie, c'est suivre ses aspirations, jouir de l'existence." et "exister, c'est être en réalité, durer, subsister." On peut donc affirmer qu'il y a une très grande différence entre les deux concepts.
Ainsi, dès la fécondation de l'ovule par le spermatozoïde, il y aurait là le début non pas d'une vie,mais d'une nouvelle existence. Et celle-ci progresse dans sa forme avec le temps qui passe.
Puis il y a la naissance, l'expulsion de cette existence du corps où elle était en formation depuis un certain temps. Dès lors, l'Être continue d'exister dans un environnemnt différent que celui de ces premiers mois d'existence.
Et d'une certaine façon, il commence aussi sa vie. Une vie bien simple, partielle et incomplète, mais une vie quand même... S'il ne "suit pas encore ses aspirations", il commence cependant "à jouir de son existence". Il découvre les premières sensations heureuses du contact humain.
La satisfaction de ses besoins primaires, physiologiques, se réalise. Puis, à mesure que s'accumule les années, les besoins psychologiques sont à leur tour comblés... Sa personnalité, son caractère, ses valeurs, ses goûts, se précisent. Et puis, dans ce long processus, il finit par avoir ses propres aspirations. Parseme de réussites et d'échecs, il poursuit sa quête pour atteindre ses aspirations. Bref, on peut l'affirmer sans crainte de médire, il vit !!!.
Mais s'il devient impossible que soient comblés tous ses besoins fondamentaux, s'il devient impossible pour lui de poursuivre sa quête en vue de l'obtention de ce à quoi il aspire, s'il ne peut plus progresser parce qu'empêcher par des conditions externes qu'il ne pourra changer ou par un état corporel tellement handicapant qu'aucune alternatives ne sauraient exister, alors là, il n'est pas outrageant de penser et constater que l'on devrait qualifier davantage ses jours comme ceux d'une existence, plutôt que ceux d'une vie.
-AHHH !!!! Voilà !!!!!
-Tut...Tut...Tut... Pas si vite....
-Mais...
-Mais cela ne veut pas dire que la fin d'une existence soit justifiée ni même souhaitable...
-Ohhh !!!!
-Parce que son "existence" peut quand même être agréable ... S'il n'y a aucune souffrance de quelque nature que ce soit. Si la subsistance est complète et point carencée, s'il y a quelques petits besoins qui sont, à l'occasion, comblés... Je verrais très mal alors que l'arrêt de cette "existence" là soit préconisée... Entre vous et moi, la liste des candidatures dans cette catégorie serait très longue. Trop longue d'ailleurs...
-Oui, mais pour ma cause....
-Bien dites-moi ce qu'il en est.... ou ce qu'il en était...
-Heu... Il était très handicapé, extrêmement pour tout dire. Il était incapable de quoi que ce soit si ce n'était juste d'écrire... Écrire à qui veut l'entendre qu'il souffrait en son fort intérieur. Parce que malgré son état, il était d'une très grande conscience.
-Et c'est cette grande conscience qu'il avait, qui lui rendait insupportable son existence parce que chaque moment conscient lui rappelait à quel point il ne pourrait jamais atteindre ses aspirations.
-OUI !!! Exactement !!!!
-À quel point il ne pourrait connaître plein de plaisirs légitimes que l'homme peut avoir. Oui, oui, je comprends .
-Donc, ce n'était pas une vie..... Juste une existence !!!! Une existence si terrible qu'il implorait qu'on la lui fasse cesser puisque lui ne pouvait le faire..
-Hum....Là, c'est délicat... Très délicat même.... C'est que cette existence avec laquelle il cohabitait aurait pu être toute autre... S'il avait eu droit à toutes les ressources possibles pour lui permettre de percevoir autrement son existence. Si on avait cherché à créer de nouvelles approches et ressources pour changer sa dite existence. Trouver tous les moyens possibles et inimaginables pour mettre en très grande valeur lepotentiel, si limité était-il, qu'il possédait. Si on avait cherché à créer autour de lui un environnement autrement stimulant que les murs d'un hôpital. Peut-être, peut-être alors que son existence aurait été différente, meilleure, plus heureuse....
-Je veux bien vous le concéder cher Confus... Mais tel n'a pas été le cas....Parce que tout cela demande bien des efforts, bien du financement aussi...
-Oui... Et de nos jours, le financement fait foi de tout.... Peu à peu, il éteint cette volonté, cette croyance que l'homme peut avoir de vouloir franchir l'impossible. D'aller aux delà des limites du connu pour tenter d'explorer d'autres univers, d'autres dimensions de la vie et de l'existence... Enfin....
-Alors cher vieux sage, je vous le demande, juste entre vous et moi, est-elle coupable ma cliente?
-Vous voulez mon avis... Cela en appelle à des questions profondes que les sociétés devront résoudre.
Quelles devraient être les conditions minimales pour qu'une existence soit considérée comme étant une vie?
Est-il acceptable que tous les jours d'un individu ne soient que simple existence, dans la simplicité la plus désolante et minimale qui soit?
Doit-on accepter sur demande la cessation d'une telle existence, ou ne pas plutôt chercher à tout mettre en oeuvre pour changer les conditions de cette existence afin de la rendre plus agréable, peut-être même l'amener à devenir une vie ?
-Ouf !!! Questions profondes pour une société !!!
-Non !!! Question profonde pour les hommes et les femmes de cette société....
-Mais pour mon cas, vous ne voulez pas me dire?
-Dans ce cas précis, avec tous les éléments que l'on connait, eh bien.... Nous sommes peut-être tous un peu coupables de ne pas avoir tout tenté pour que cet homme puisse connaître une existence autre... une existence qui, à tout le moins, aurait été plus heureuse...
-Heu...
- Mais les circonstances dans lesquelles tout cela s'est produit étant ce qu'elles étaient... Je vous dirais ceci.
Et ce sera ma conclusion.
Peut-être bien que légalement, au sens propre de la loi actuelle, selon l'interprétation que feront les juges de ce qu'est la "vie", et "l'existence", votre cliente sera trouvée coupable...
Mais elle était, je le crois, très légitimée de le faire. Et en ce sens, je crois que devant l'Éternel, elle peut avoir la conscience bien en paix.
Et pour cela aussi, le pardon devrait lui être accordé.
-Oh !!! .... Dites-moi vénérable Confus Cius, vous me permettrez de.....
- Oui....
Papemich @ 29-09-2003
((ce texte a été inspiré d'un fait réel.))